Quand jouer n’est plus jouer : quand est-ce qu’on sait qu’un jeu est un jeu ?

Lorsque mon fils était petit, j’ai été convoquée par son enseignante de maternelle. (Oui… Vous avez vu ? On commence toujours ces billets de blogue avec une anecdote personnelle et trépidante. Rien ne vous échappe…)
Il refuse de faire certaines activités, me raconte-t-elle. J’en suis fort étonnée car, non seulement, comme toutes les mères aveuglées par l’amour, je pense que mon enfant est mieux que les autres, mais parce que, objectivement, il est vraiment obéissant. Presque trop. Je fais donc part de ma surprise à son enseignante et lui demande de me raconter les activités problématiques.
Il s’agissait de les faire marcher sur une poutre à 30 cm du sol, chacun leur tour. Étrange qu’il refuse. Je l’ai déjà vu faire de l’équilibre, il n’a pas le vertige, ni rien de ce genre. Pas non plus extrêmement complexe comme activité…

Pour vous donner une idée et ajouter des illustrations inutiles, ça devait être un machin comme ça.

Je refais part de ma stupéfaction à l’enseignante qui hoche la tête devant mon incompréhension de mère obstinément partiale et ajoute, à moitié pour elle “Oui, moi, non plus je ne comprends pas. J’ai pourtant fait comme si c’était un jeu.”

Mon oreille se dresse. Un frisson me parcourt l’échine. “ha ouais ? Comme si c’était un jeu, hein ? Ok. Je crois que j’ai compris. Racontez-moi un peu plus comment vous faites…”

Libâââââârtééé !

Vous aurez la suite de cette émouvante et mystérieuse histoire un peu plus tard. Mais comme dans les meilleurs romans policiers, si vous suivez bien, vous allez pouvoir trouver tout seul ce qui s’est passé.

Mais pour commencer, on va faire un peu de name dropping, parce que ça fait hyper sérieux. Donc… Figurez-vous que, depuis quand même un petit bout, y a des gens qui ont réfléchi sur la nature du “jouer” et on serait bien idiots de recommencer le boulot quand d’autres l’ont déjà fait. Y a donc un tas de types très intéressants qui ont tenté de définir le jeu : Huizinga dans les années 30, puis Caillois, bien sûr (ça fait hyper prétentieux d’écrire “bien sûr”), suivi par Piaget puis Brougère plus récemment. On vous met les références en bas de la page. Je rentre pas trop dans les détails, car à ce stade, j’ai peut-être déjà bien perdu une vingtaine de lecteurs.

L’illustration ci-contre n’a d’autre utilité que de récupérer les lecteurs perdus précédemment et de nous assurer un excellent référencement.

Si tout ce beau monde y va joyeusement de ces petites définitions, nous nous concentrerons sur les deux caractéristiques qui nous intéressent aujourd’hui : la liberté et la frivolité. Y en a plein d’autres. Elles sont d’ailleurs toutes un peu liées les unes aux autres.
Car, voyez-vous chers lecteurs et lectrices émoustillés, pour qu’un jeu soit un jeu, il est nécessaire que l’on y consente. Il faut que le joueur puisse décider d’entrer dans le jeu (ou d’en sortir).

Nous l’avons d’ailleurs tous expérimenté : la partie de Trivial Pursuit obligatoire à Noël ? Ça te dit quelque chose ? Avec la blonde à ton frère, celle qui a 3 doctorats ? Quand toi, tes diplômes, ça se résume à une tasse avec meilleure maman de l’année et une attestation de premiers secours datant de 1994 roulée en boule au fond d’un tiroir, et ben je peux te garantir que tu ne vas pas “jouer”. Tu vas participer au jeu parce que t’es polie. Mais tu ne vas pas “jouer”. Ta décision de participer au jeu n’est pas vraiment la tienne. Elle est dictée par la convention sociale “ne pas gâcher Noël et donner le plaisir à Marie-Andrée d’humilier tout le monde”. 

Personnellement, à toutes les questions orange, j’avais décidé de répondre “Le Bayern de Munich”.  Une ou deux fois, ça a marché. Toutes les autres fois, c’était drôle.

Je pourrai multiplier les exemples, mais on n’a pas la nuit. Je fais le pari que tu as compris : quand on est obligé de jouer, c’est pas vraiment du jeu. 

J’vous donne la suite plus tard. Il paraît que mes billets de blog sont trop longs.
Mais je sens en vous monter inexorablement le désir…

Je vous rappelle.

Huizinga J. – Homo Ludens (1938)
Caillois R. – Les jeux et les hommes : le masque et le vertige  (1958)
Piaget J. – La psychologie de l’enfant (1966)
Brougère G. – Jouer / apprendre (2005)

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